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Paul Arnephy : Champion du grain

” J’estime que si on ne se réserve pas un temps pour tester ses cafés, autant ne pas torréfier. Je me suis de plus en plus intéressé au goût et la révélation est arrivée grâce à mon premier cupping d’Ethiopie… Incroyable ! Je suis convaincu que d’ici peu nous (en France) serons une référence mondiale du Specialty Coffee “ Talentueux, titré et reconnu par ses pairs, l’ancien torréfacteur de Café Lomi va représenter la France aux prochains championnats du monde de Torréfaction (Taiwan). Couronné lors du dernier Paris Coffee Show, il a accordé une interview au Coffee Lounge où il livre sa fascination pour son métier, des premiers moments café à Melbourne où tout a basculé pour lui… et nous fait part de son analyse optimiste et éclairée d’une France du Specialty Coffee. Rencontre.

Le Coffee Lounge : Champion de France de torréfaction, encore un titre (après celui de MOF), lequel des deux vous touche le plus ?

Paul Arnephy : Je ne peux pas mettre l’un plus en avant que l’autre. Le MOF* est une institution française que j’adore par cette recherche de l’excellence dans le geste artisanal. Avec cette idée clé qui correspond à la transmission d’un savoir-faire qui nous engage.

Avec le championnat de France SCA**, c’est davantage l’univers du Café de Spécialité et de son aura mondiale dont il s’agit. Les deux titres sont autant savoureux l’un que l’autre, parce que j’ai adoré gagné les deux compétitions.

Cela dit, titré ou pas, je reste le même. Cela ne change rien à l’humain, parce que pour moi, ce qui est réalisé au quotidien prend le pas sur le fait de gagner un titre ou pas. C’est bien entendu fort agréable, mais je pense qu’il ne faut pas rester dessus.

 

 

Le Coffee Lounge : Pouvez-vous nous décrire les étapes qui constituent l’épreuve d’un championnat de France de torréfaction ?

Paul Arnephy : Un championnat de torréfaction se présente en trois phases :

  • D’abord, cela commence par l’analyse physique du café vert
  • On passe ensuite à un plan de torréfaction au cours duquel il faut mentionner ce que l’on imagine comme couleur et changement de poids du grain, goût du café et profil aromatique. On y a joute une étape importe qui consiste en une question : L’exécution du plan de torréfaction est-elle conforme à ce qui a été déterminé ?
  • Enfin, il y a cette troisième et cruciale étape : la détermination de la qualité dans la tasse de ce que l’on a torréfié.

De plus, une dégustation des cafés torréfiés par les candidats est obligatoire… dans un format paritaire où juges et compétiteurs donnent leurs avis.

Il faut imaginer un championnat de torréfaction comme une procédure accélérée de ce qui se passe en réalité. Réception des échantillons, analyse, plan de torréfaction et évaluation… Ce qui se passe généralement en deux ou trois mois est concentré sur trois jours.

 

 

Le Coffee Lounge : Paul, dans votre quotidien de torréfacteur, pensez-vous qu’il soit nécessaire de s’astreindre à un rituel de dégustation ?

Paul Arnephy : Quand je travaillais chez Lomi, je goûtais environ 40 à 50 tasses par semaine. En gros, c’est du temps de Contrôle qualité nécessaire à une activité de production. Cela revient à un rythme d’une dizaine de tasses par jour qui s’intensifie nettement en période d’achat de cafés verts. Pour moi, la partie Dégustation et Contrôle qualité quand on torréfie est l’étape la plus importante. J’estime que si on ne se réserve pas un temps pour tester ses cafés, autant ne pas torréfier. Il est difficile d’imaginer torréfier et se dire simplement que c’est bon pour le consommateur. Il manque une étape dans le processus de production, dans la mesure où cela permet d’exercer un suivi sur chaque café vert à torréfier.

 

 

Le Coffee Lounge : Désormais, il faut se projeter sur les Championnats du Monde qui sont programmés à Taiwain en 2023… Comment abordez-vous cette échéance ?

Paul Arnephy : Je vais commencer ma préparation rapidement, même si le rendez-vous est dans 14 mois. Je me mets d’ores et déjà en mode compétition, au départ 1 à 2 fois par semaine. C’est-à-dire m’entraîner à analyser du café vert, élaborer le plan de torréfaction et l’exécuter. Et à l’approche plus concrète du concours, je me mettrai dans une nouvelle étape de préparation consistant notamment à m’acclimater aux équipements de torréfaction que l’on aura aux Mondiaux. Puis, afin de m’entraîner au mieux, je vais aussi m’appuyer sur des torréfacteurs expérimentés et que je respecte profondément pour leurs compétences, comme peut-être Sébastien Maurer (ndlr – Cafés Sati et quadruple champion de France de Cup Tasters) ou Veda Viraswami (Ducasse Café – double champion de France de Torréfaction et 3è aux Mondiaux en 2018). Je vais néanmoins compter aussi sur mes recherches personnelles.

 

 

Le Coffee Lounge : En termes de préparation, quelle épreuve est la plus exigeante ? Championnat ou MOF ? Qu’est-ce qui diffère de l’une de l’autre ?

Paul Arnephy : Les deux sont aussi exigeants l’un que l’autre. Le MOF permet d’aborder le métier de la torréfaction de façon plus large. Alors que le championnat SCA** est plus spécifique à l’art de torréfier. L’exigence de l’un ou l’autre nécessite une préparation importante et ne laisse pas la place au hasard.

 

 

Le Coffee Lounge : Vous semblez aimer la compétition, qu’est-ce qui vous attire autant dans cette démarche ?

Paul Arnephy : En réalité, je suis concentré sur mon sujet et compétiteur au point de vouloir donner le meilleur de moi-même quand je suis dans un concours. Ce qui ne fait pas forcément de moi quelqu’un qui pense à la compétition en permanence et qui pourrait en faire son métier. Si on compte bien, j’ai dû participer à trois ou quatre concours dans ma vie. En fait, je vois les compétitions comme une manière de tester mes gestes professionnels du quotidien. Par contre, j’estime qu’un concours nous oblige à donner notre maximum, sinon ce serait à mon sens prendre injustement la place de quelqu’un d’autre. On est bien d’accord, dans ce genre d’exercice, la moindre petite erreur peut nous coûter la victoire, à cela il faut accepter la part de chance qui peut faire basculer un résultat.  Tout cela fait partie du jeu.

 

 

Le Coffee Lounge : Comment êtes-vous arrivé à travailler dans l’industrie du Café ?

Paul Arnephy : Je torréfie maintenant depuis 15 ans, alors que j’ai commencé à être fasciné par le café quand j’étais en Australie et que je travaillais dans un petit coffee shop de Melbourne. Le fait que les clients pouvaient être amenés à demander que tel ou tel barista prépare leur boisson m’a interpellé. Je me suis questionné de cette manière : « Que se passe-t-il du côté du geste humain qui permet de créer la différence alors que le matériel et le café sont identiques pour tout le personnel ? ». Partant de là, je me suis de plus en plus intéressé au goût et la révélation est arrivée grâce à mon premier cupping d’Ethiopie… Incroyable ! Peut-être que tout est parti de là. Mais avant d’entrer concrètement dans cette industrie, j’ai décroché un Bachelor of Business, puis j’ai voyagé au Canada pendant quelques mois, c’est vraiment là-bas, en travaillant dans un coffee shop que j’ai réalisé l’importance du lien entre l’humain et la machine. De retour en Australie, j’ai travaillé en tant que torréfacteur et barista. C’était avant d’arriver en France il y a 13 ans. A l’époque, il y avait peu de choix pour travailler dans le café : la Caféothèque et Alto Café. C’est chez le second que j’ai fait la connaissance d’Aleaume Paturle avec qui on a lancé Café Lomi… Cela fait 12 ans désormais. Je me dirige maintenant vers le consulting et la formation dans l’industrie du café. Je suis enthousiaste à l’idée de travailler avec des gens, des cafés et des problématiques différents. Y compris à l’étranger bien entendu.

 

 

Le Coffee Lounge : Quel serait un bon café, selon Paul Arnephy ?

Paul Arnephy : C’est très compliqué… c’est comme écouter de la musique. Tout dépend du moment. Mais en toute honnêteté, je pense qu’il est difficile de ne pas aimer un bon Arabica d’Ethiopie (variété 74-110 par exemple), en voie sèche (ndlr : café naturel) sans qu’il y ait trop de notes de fermentation et sûrement extrait avec une cafetière filtre… Mais je peux aussi bien imaginer un expresso, c’est une méthode que j’adore, c’est fascinant.

 

Le Coffee Lounge : Quand on pense Specialty Coffee, on ne pense pas spontanément à la France. Comment feriez-vous pour démentir cet état de fait et donner des arguments en faveur du café français ?

Paul Arnephy : Je suis convaincu que d’ici peu nous serons une référence mondiale du Specialty Coffee… La France est une culture spécifique qui ne suit pas les modes, elle va à terme tracer une route. Mais chaque chose en France a besoin de temps pour se développer et passer par une sorte de baptême du feu. Je suis persuadé que le café va devenir un produit de haute qualité et c’est déjà le cas. Car je connais de très très bons torréfacteurs en France. Nous baignons dans une culture de la recherche d’excellence, tout en ayant un sens critique aiguisé.

 

 

*Meilleur Ouvrier de France

**Specialty Coffee Association : www.scafrance.coffee/championnats-torrefaction

 

 

Paul Arnephy, profil express :

  • 38 ans, 3 enfants
  • Champion de France de torréfaction 2022
  • Torréfie depuis 15 ans
  • 2008, Arrive en France et travaille chez Alto Café
  • 2010, participe à l’aventure Café Lomi
  • 2018, devient Meilleur Ouvrier de France Torréfaction
  • 2022, quitte Café Lomi et entreprend une carrière de consultant dans l’industrie du café
  • 2023, participera aux championnats du monde de Torréfaction (Taiwan)

 

 

 

Le profil de café parfait selon… Paul Arnephy :

Une origine : Éthiopie

Une variété : Arabica 74-110

Un process : Voie sèche

Une méthode d’extraction : Cafetière filtre

Un détail : Un café d’une grande typicité, délicat et sans notes de fermentation exagérée

 

 

 

Légendes photos : Crédit Paul Arnephy

Champion de France 2022, célébré par Daniela Capuano (Meilleure Ouvrier de France Torréfaction 2018)

Paul arborant la tunique, la médaille et le col bleu-blanc-rouge récompensant l’excellence du geste artisanal… MOF Torréfacteur 2018

L’un des projets à venir de Paul : la transmission. Devenir consultant et former, la carrière de torréfacteur est aussi hors des ateliers.

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